Les animaux ont des sentiments : l’accepter nous rend plus humain

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Quand l’homme considérera-t-il (enfin) que les animaux ont des sentiments bien réels ? Certaines espèces du règne animal récemment étudiées, ont montré des sujets éprouvant des sentiments pour leurs congénères. Si ces découvertes sont récentes, la réalité, elle, n’est pas nouvelle. Cependant notre conscience de cette réalité pourrait bien changer rapidement compte tenu des avancées scientifiques récentes.

les animaux ont des sentiments

Oui les animaux ont bien des sentiments !

Préambule pour remettre les choses à l’endroit

Depuis trop longtemps déjà, on s’obstine à trouver quel est le propre de l’homme. En vain. Existe-t-il seulement ? Mais quelle importance d’ailleurs ? Et si, ce qui nous caractérisait le plus, était précisément cette volonté persistante à vouloir se différencier à tout prix des autres espèces…

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Notons avant de poursuivre, que certains comportements humains auxquels on attribue volontiers le qualificatif « d’animal » ou de « bestial » tiennent bien moins de la bête -aussi sauvage soit-elle, que de l’homme -aussi civilisé se croit-il. Et toc.

Ce paradoxe est bien humain :  de tout temps on attribue aux autres ses propres vices et défauts. Toutefois, la longue histoire de la civilisation humaine regorge d’exemples de comportements « bestiaux » qu’aucune autre espèce sur la planète n’a jamais adoptés, à part la nôtre…

La science des hommes met en évidence les sentiments des animaux

Les chiens sont capables d’interpréter les émotions des humains (voir notre article « Une étude démontre que les chiens comprennent les émotions humaines« ). Les chevaux aussi, semble-t-il. Les baleines ont des accents régionaux. Les corbeaux devinent les pensées de leurs congénères – un phénomène que les scientifiques appellent «théorie de l’esprit » et qui a longtemps été considéré comme une aptitude spécifiquement humaine.

propre de l'homme

Ces récentes découvertes indiquent que nombre de traits et de facultés que nous estimons «exclusivement humains» ne le sont pas.

Cette affirmation donne probablement l’impression de pencher dangereusement du côté de l’anthropomorphisme. Si vous connaissez un tant soit peu le domaine d’étude des comportements des animaux, vous savez sans doute ceci : l’anthropomorphisme est nuisible !

Les animaux sont des animaux, et les humains sont des humains : circulez, y a rien à voir…

Quarante ans d’enlisement sur les chemins boueux du dénigrement

Et pendant ce temps là : les éléphants ressentaient la joie… Présumer par exemple, qu’un éléphant ressent la joie de la même manière qu’un humain est risible d’un point de vue scientifique. Telle est la pensée qui a dominé ce champ de recherche pendant la plus grande partie du siècle passé. On pourrait la résumer ainsi :

Contrer avec vigueur ou tourner en dérision, tout projet de recherche qui oserait suggérer que les animaux pensent et ressentent de la même manière que les humains.

Toutefois, de nouvelles études ainsi qu’une multitude d’ouvrages récemment écrits par des biologistes et des rédacteurs scientifiques de renom, considèrent avec le plus grand sérieux la vie intérieure des animaux.

Désormais, des scientifiques estiment que si l’intention première était louable, des décennies de rejet automatique de toute forme d’anthropomorphisme ont surtout entravé la recherche. L’éminent biologiste et auteur Carl Safina lors d’un échange avec Science of Us, a déploré :

Ça a détruit le champ d’étude(…) Ça ne l’a pas seulement freiné, ça l’a mené à sa perte. Les gens n’ont même pas pu poser ces questions durant une quarantaine d’années.

Le livre de Safina, intitulé Beyond words : what animals think and feel, est en phase avec le prochain ouvrage du célèbre primatologue Frans de Waal, Are we smart enough to know how smart animals are ? En effet, les deux chercheurs plaident en faveur de ce que le biologiste Gordon Burghardt a appelé l’«anthropomorphisme critique» – c’est-à-dire utiliser la compréhension humaine et les intuitions comme point de départ pour comprendre la cognition animale. Frans de Waal écrit à ce sujet :

Dire que les animaux planifient l’avenir ou qu’ils se réconcilient après un combat va au-delà du langage anthropomorphique, ces termes expriment des idées vérifiables.

Mais ça c’était avant…

Dès les années 1910-1920, la science comportementale de l’animal a commencé à privilégier la description dans ses tentatives de dissiper les superstitions, non :

  • les chats ne sont pas les compagnons des sorcières
  • les tortues ne sont pas particulièrement obstinées
  • les sauterelles ne sont pas paresseuses
  • etc.

Malheureusement, à partir d’un certain moment, la description est devenue la seule «science du comportement animal», écrit Safina dans son livre publié l’été dernier :

Le fait de se demander quels sentiments ou quelles pensées pouvaient motiver l’acte comportemental était devenu complètement tabou.

Selon lui, les notes d’un «bon» scientifique ressembleraient à ceci : « L’éléphant se place entre son petit et la hyène ».

Un «mauvais» scientifique aux tendances anthropomorphiques, quant à lui, décrirait cette même scène de la façon suivante : « La mère se positionne dans le but de protéger son petit de la hyène ».

Comment ce chercheur pourrait-il prouver les intentions de la mère? Parce qu’on ne peut observer ni une pensée ni un sentiment. Présumer de leur existence chez les animaux était par conséquent jugé non scientifique.

Quand la science faisait hérisser les poils de la bêt(is)e humaine

Jadis, le simple fait d’évoquer la question d’une conscience animale pouvait suffire à détruire une carrière.

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Dans les années 1970, Donald Griffin, un biologiste reconnu, avait récemment découvert l’écholocalisation (ou sonar) chez les chauves-souris. Il aborda le sujet dans son ouvrage Question of animal awareness. Sa réputation professionnelle en fut considérablement écornée.

Jane Goodall essuya elle aussi des critiques après avoir osé «humaniser» les chimpanzés dans son étude en leur donnant des noms. Dans les années 1990, la prestigieuse revue Science déconseillait même la recherche sur la cognition animale aux jeunes chercheurs pas encore titularisés. Le syndrome de Galilée n’est semble-t-il encore pas si loin.

Les nouvelles techniques scientifiques font taire les détracteurs

Des données plus fines, obtenues notamment grâce aux progrès de l’imagerie cérébrale et aux vidéos enregistrées par les chercheurs travaillant sur le terrain, obligent désormais bon nombre de scientifiques à repenser certains points fondamentaux de la cognition animale.

C’est simple, de nos jours, il ne se passe pas une semaine sans qu’une nouvelle étude ne soit publiée, avançant les preuves que telle ou telle espèce possède une faculté ou une émotion autrefois considérée comme spécifique à l’être humain.

Des manifestations d’empathie, et même des comportements réconfortants, ont été observés chez plusieurs espèces. On sait aujourd’hui que les campagnols des prairies (rongeur présent sur le continent Nord-Américain) réconforte ses congénères.

les animaux ont des sentiments

Des comportements ressemblant fortement à la consolation ont également été observés chez des animaux connus pour leur sociabilité, comme les éléphants. Quand un éléphant d’Asie remarque qu’un de ses congénères est anxieux, les chercheurs observent que le premier réagit en touchant le second avec sa trompe, explique Le directeur de l’étude Joshua Plotnik, explique :

Je n’ai jamais entendu une telle vocalisation lorsque les éléphants sont seuls, ça pourrait être un signal du genre « chut… ça va aller », le type de son qu’un humain adulte utiliserait pour réconforter un bébé.

Certains scientifiques avancent que le bâillement contagieux, qui a été récemment observé et filmé chez les chimpanzés, est également un signe d’empathie. Plusieurs études ont révélé que certains animaux manifestent des signes de conscience de soi. La meilleure méthode à la disposition des chercheurs pour mesurer ce concept pourtant abstrait est le test du miroir, même si de récents travaux ont remis en question sa justesse.

« Miroir, miroir… dis-nous qui est le plus bête »

Le sujet est généralement marqué avec un colorant visible mais inodore avant d’être placé devant un miroir. Pour réussir ce test, celui-ci doit observer la marque dans le miroir, puis l’examiner sur son propre corps, ce qui indique que l’animal comprend que le reflet dans le miroir est une représentation de lui-même.

Les singes ne sont pas les seuls à y parvenir. En effet, au début des années 2000, deux chercheurs ont montré que les grands dauphins réussissaient ce test haut la main -si vous me permettez cette anthropomorphisme 🙂 .

Dans son dernier livre Voices in the ocean, la rédactrice scientifique Susan Casey indique que les éléphants et les pies réussissent également ce test que les êtres humains passent avec succès à partir de l’âge de 2 ans.

Comprendre ses semblables : une aptitude vitale

Certains animaux seraient capables de comprendre le point de vue de leurs congénères. Outre le comportement récemment mis en évidence du corbeau, il s’avère que le geai buissonnier peut se représenter le point de vue d’un autre geai, ce qui l’aide à cacher sa nourriture.

Quant au geai des chênes mâle, il serait en mesure de deviner avec justesse le type de nourriture qu’une femelle pourrait apprécier. Nicola Clayton, psychologue à l’université de Cambridge, expliquait au magazine américain Wired :

Nous avons longtemps pensé que seuls les humains pouvaient faire ça (…) Nous avons démontré grâce à une série d’expériences que ça ne semble pas être le cas.

Ces photos d’animaux qui disent ce qu’on a envie d’entendre

À l’ère des photos et vidéos virales, il devient facile de souscrire à l’idée que l’anthropomorphisme est désormais parfaitement acceptable, et de s’y laisser cloisonner trop facilement. Les réactions suscitées par une photo récente de trois kangourous illustrent parfaitement ce phénomène.

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Selon la légende qui accompagnait l’image sur Facebook, le mâle et le petit « pleuraient » la femelle qui venait de mourir.

Les médias s’en sont emparés, la prenant pour argent comptant et affichant des titres comme celui-ci :

« Une mère kangourou mourante tient son petit pendant ses derniers instants

Comme pour toute histoire rendue virale sur la toile, les tentatives de démystification n’ont pas tardé à frapper : selon certains articles improbateurs, le kangourou mâle tentait simplement d’initier un rapport sexuel avec la femelle, et toute interprétation contraire relevait d’un « anthropomorphisme naïf ».

De son côté, Safina soutient qu’aucune conclusion ne peut être tirée d’une photographie, que ce soit dans un sens ou dans l’autre. À vrai dire, l’image ou, plus précisément, les réactions polarisées qu’elle a suscitées sur la toile nous en apprend davantage sur nous-mêmes que sur l’éthologie des kangourous. Il souligne ceci :

La seule chose qui n’est presque jamais permise, ni même envisagée, c’est le fait qu’il puisse exister des nuances(…) Il existe toute une palette d’émotions chez les humains comme chez les non-humains.

Après la mort d’un être humain, par exemple, les proches éprouvent toute une gamme d’émotions – le déni, la confusion, voire des rires terriblement inappropriés. «Mais avec les animaux, tout devrait être noir ou blanc» observe Safina. Soit nous voulons croire que les animaux sont purs, bienveillants et globalement meilleurs que nous, soit nous voulons croire exactement le contraire : que nous sommes les créatures les plus remarquables de la planète et que le comportement animal ne relève que de l’instinct (comme si ce n’était jamais le cas du comportement humain !).

Certes, se précipiter vers des conclusions infondées appuyant l’idée que les animaux sont tout à fait comme nous relève de la pseudoscience. Mais volontairement ignorer les preuves de comportements des animaux étonnamment similaires aux nôtres est tout aussi biaisé et non scientifique.

«Ce qu’il faut retenir, c’est que l’anthropomorphisme n’est pas toujours aussi problématique qu’on le pense», écrit de Waal, ajoutant que cela est d’autant plus vrai pour les animaux dont le cerveau est similaire au nôtre : les singes, bien évidemment, mais aussi les éléphants et certains mammifères marins comme les dauphins.

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