On a tendance à dire beaucoup de généralités sur le sommeil. Pour le commun des mortels, c’est une phase qui est censée durer huit heures, entre 23h et 7h. Seulement, la réalité est beaucoup plus subtile que cela. La première des choses qu’il me faut alors rappeler, c’est que le sommeil est avant tout une expérience individuelle, qui correspond à des besoins tout aussi individuels.
Quel est le temps de sommeil idéal ? Un médecin du sommeil répond
Etre ou ne pas être… dans la sacro-sainte norme des 8h par nuit
Que l’on fasse partie de ces gens qui dorment très peu, ou de ceux qui ont besoins de beaucoup de sommeil : chacun d’eux aménage sa vie en fonction de ses propres besoins de sommeil. Ces aménagements font l’objet de remarques, voire de jugements de la part de leur environnement social, parce qu’ils sortent de la norme. Cette même norme, qui est en fait définie par une statistique, à savoir le temps de sommeil moyen des Français qui est d’environ huit heures.
Pourtant, on peut tout à fait dire que la manière de dormir de chacun est « normale ». Elle est adaptée à chacun. En consultation, on reçoit nombre de patients – essentiellement de gros dormeurs – qui se disent anormaux parce que leur mode de vie ne se conforme pas à ce que la société préconise en matière de sommeil. Mais :
la durée de sommeil est comme notre taille, c’est une donnée qui est propre à l’individu que nous sommes, déterminée biologiquement et génétiquement.
On n’envisagerait pas une seule seconde de dire à un homme qu’il est plus petit que la moyenne de ses congénères, et qu’il faudrait par conséquent qu’il fasse un effort pour grandir.
Une souffrance ressentie liée à la pression sociale
C’est toute la question de la différence qui se joue ici. La société aurait les mêmes réactions face à d’autres comportements qu’elle considère comme limites ou originaux, alors qu’ils ne sont pas anormaux pour autant :
Aujourd’hui, le sommeil est vécu comme du temps perdu : un moment où l’individu n’est pas productif, ni attentif à ce qui se passe autour de lui. Quand il dort, il n’agit pas. Cette perception est très gênante.
Un « gros dormeur » ressent plus la pression sociale qu’un « petit dormeur ». Pourquoi ? Parce que celui qui dort peu s’en sort généralement mieux dans son organisation quotidienne, et cela se remarque par son entourage. Pour un « gros dormeur », qui dort 10 heures par jour, la culpabilise peu être énorme. L’image d’une personne ayant un poil dans la main, lui est renvoyé par des surnom peu flatteur du type « feignasse » ou « petite vieille ». On lui dit qu’elle est paresseuse.
Le sommeil comme un rapport entre soi et le monde
Il y a une forte interférence entre la façon dont on dort (physiologiquement ou pathologiquement) et la façon dont on existe socialement. Et les personnes atteintes de narcolepsie, confirme cette vision.
La narcolepsie modifie le rapport au monde d’une manière singulière. Alors que le patient a envie d’être attentif, disponible et qu’il a souvent les compétences pour travailler, il a nécessairement besoin de temps de pause. Les narcoleptiques qui vivent bien leur maladie sont ceux qui arrivent à caser des moments brefs de pause dans la journée pour rétablir une vigilance normale… Mais tout dépend du milieu professionnel dans lequel ils évoluent.
S’ils travaillent dans un endroit où il est très mal vu d’être off à un moment donné, cela occasionne de la souffrance et des répercussions sur le travail fourni. Quand le milieu professionnel accepte cette originalité par rapport au sommeil, des plages peuvent aménagées et le stress diminue.
La position de l’insomniaque est plus compliquée. Son rapport au sommeil est presque un rapport au monde. Son incapacité à dormir va devenir le justificatif de tout ce qui ne va pas dans sa vie, même si son sommeil n’est pas forcément le responsable de tous ses problèmes. Chez l’insomniaque, sa vie nocturne et sa vie diurne se mélangent. En conséquence de quoi, il n’est pas efficace le lendemain.
Ce sentiment d’être perpétuellement dans un entre-deux affecte énormément l’image qu’il a de lui et contribue à une forme d’auto-dépréciation. L’insomniaque a souvent une image très péjorative de son potentiel et de ses performances parce qu’il se met la pression lui-même : « Je ne suis pas bien parce que je dors mal, je dois donc dormir… mais je n’y arrive pas. » C’est le cercle vicieux que leurs récits décrivent.
Écoutez votre corps, trouvez votre rythme
Ce qu’il faut retirer, c’est qu’à force de répéter aux gens qu’on doit dormir d’une certaine manière, ils intériorisent le fait qu’ils doivent dormir 8 heures par jour, peu importent leurs besoins.
On n’est pas dans une société qui laisse les gens trouver leur rythme et qui valide le fait que l’on choisisse de s’y conformer. Je pense qu’à ce propos, nous souffrons d’un vrai manque d’éducation. À l’école, nos enfants en apprennent énormément sur la reproduction, l’alimentation, etc. Mais jamais on ne leur parle du sommeil, ni de comment ça marche alors que c’est crucial.
On devrait laisser les gens apprendre à dormir, trouver leur rythme, évaluer leurs besoins. Et le besoin ne correspond pas forcément à son désir de dormir. Si vous voulez vous coucher à 2h du matin pour sortir et profiter de la soirée, alors que vous tombez de sommeil à 23h, vous êtes en contradiction avec vous-mêmes.
Ce que je veux dire par là, c’est qu’il faut être humble vis-à-vis de son corps, savoir l’écouter et ne pas se laisser berner par des priorités d’ordre social. Si vous sentez que vous avez besoin de dormir : dormez. Si vous êtes réveillé, levez-vous. Votre corps vous envoie un signal, répondez-y.