D’où vient le terme « décivilisation », utilisé par Emmanuel Macron pour qualifier les violences dans la société ?

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L’Elysée assume l’expression « processus de décivilisation » employée par le chef de l’Etat, mercredi. Mais ce terme est également le titre d’un livre du théoricien d’extrême droite Renaud Camus.

Le mot n’est pas passé inaperçu. Emmanuel Macron a comparé, mercredi 24 mai en Conseil des ministres, les violences au sein de la société à un « processus de décivilisation ». « Il faut être intraitable sur le fond, a complété le chef de l’Etat. Aucune violence n’est légitime, qu’elle soit verbale ou contre les personnes. » Au-delà de l’analyse, le terme même de « décivilisation » provoque depuis des grincements de dents. Franceinfo revient sur l’origine de cette expression.

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Le titre d’un ouvrage d’un essayiste d’extrême droite
Dans la sphère politique, le terme « décivilisation » est aussi le titre d’un ouvrage du penseur d’extrême droite Renaud Camus, publié aux éditions Fayard en 2011. La même année, l’essayiste a publié l’ouvrage Le Grand Remplacement, dans lequel il développe sa thèse raciste et complotiste sur le remplacement d’un peuple, les « Français de souche », par une « population d’immigrés venus d’Afrique et du Maghreb », comme le résume une note de la Fondation Jean-Jaurès.

Renaud Camus n’a pas le monopole du terme, mais il a marqué le concept de son idéologie. Dans son ouvrage, l’essayiste explique que « la crise contemporaine serait celle de l’école, de la famille, de toutes les institutions chargées de la transmission », analysent Aurélien Aramini et Florian Gulli dans la revue Philosophique. « La culture perdrait toute consistance ; les manières, de table en particulier, matrices du contrôle de toutes nos pulsions, seraient de plus en plus désinvesties, ce qui repose sur le respect de l’autorité serait aujourd’hui dévitalisé. D’où le retour de la violence dans le quotidien », écrivent les deux philosophes.

Un terme utilisé en sociologie

A quoi sert la sociologie ? | Des hauts et débatsRenaud Camus n’est pas le seul à employer le terme « décivilisation ». On le retrouve en sociologie, où il est associé aux écrits de l’Allemand Norbert Elias et à son expression « processus (ou procès) de civilisation ». Le sociologue, qui a longuement réfléchi aux causes profondes de l’arrivée du nazisme en Allemagne, étudie dans ses ouvrages l’évolution des mœurs à travers le temps. « Ce que Norbert Elias appelle le procès de civilisation, c’est une histoire parallèle ; d’un côté celle de la manière dont l’Etat moderne se constitue en se réservant le monopole de la violence, de l’autre, celle de l’autocontrôle exercé, par les individus, sur leur violence spontanée, leurs instincts et leurs affects », expose France Culture.

« Comme Ernst Bloch, Ernst Cassirer, Norbert Elias ou Hannah Arendt l’ont remarquablement bien saisi, la dé-civilisation des années 1930-1940 consistait à détruire l’individu pour le fondre dans la ‘masse' », explique également dans Le Figaro l’historien Hamit Bozarslan, auteur de l’essai Crise, violence et dé-civilisation. Essai sur les angles morts de la cité (CNRS, 2019). « Sans mémoire, sans réseau, sans tissu social, sans faculté cognitive, ce qui restait de l’individu était obligé de se ‘massifier’, hurler avec les loups pour ne pas être dévoré par eux, poursuit Hamit Bozarslan. Le nazisme, le stalinisme, le khomeynisme [l’idéologie politique et religieuse développée par l’ayatollah Khomeyni, fondateur de la République islamique d’Iran], le jihadisme actuel, sont la conversion de ce processus de massification en ressource ultime du pouvoir. »

Une expression de plus en plus utilisée à droite
La classe politique française s’est emparée du terme « décivilisation » ces dernières années pour dénoncer les faits de violence qui traversent la société. En avril 2021, déjà en campagne pour l’élection présidentielle, Xavier Bertrand emploie le terme sur Europe 1 avant de mettre en avant ses propositions sur le thème de la sécurité. « Nous sommes un des rares pays au monde où tous les jours, il y a des agressions contre l’Etat, une mise en cause des forces de l’ordre, et qu’il n’y a pas de riposte », assène le président de la région Hauts-de-France, ex-ténor des Républicains.

David Lisnard, maire LR de Cannes et président de l’Association des maires de France (AMF), a également cosigné une tribune en septembre 2022 dans Le Figaro, intitulée « Peut-on arrêter la décivilisation ? », après l’agression d’une octogénaire à Cannes. Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, a employé l’expression à plusieurs reprises : « La France est en train de s’ensauvager avec un phénomène de décivilisation », affirme-t-il ainsi en septembre 2022, après un viol dans le centre-ville de Nantes. Le sénateur de Vendée a une nouvelle fois utilisé le terme début mai pour témoigner de son inquiétude face à la hausse des violences contre les forces de police.

« Combien de temps, combien de victimes nous faudra-t-il encore compter pour mettre un terme à ce spectacle de décivilisation ? »

Une « réalité » et pas un « concept », selon l’Elysée

Violence des élus et « décivilisation » - Le SoirConcernant le mot « décivilisation », l’Elysée dément tout emprunt à l’extrême droite et justifie l’emploi du terme : « Le président ne reprend pas un concept. C’est une réalité. » Interrogé par franceinfo, l’entourage d’Emmanuel Macron explique qu’il s’agit d’une « interpellation adressée à la société ». Selon un proche, le chef de l’Etat considère que « les violences sont multifactorielles et multicausales, et que si on cherche des responsabilités du côté des politiques, qui peuvent en prendre leur part, le sujet est néanmoins plus global ».

Les agressions physiques demeurent « à un niveau bas, ce qui augmente, ce sont les violences sans contact », les « regards de travers, injures, insultes, menaces », a relativisé pour sa part sur franceinfo Renée Zauberman, sociologue, dont les travaux portent sur la mesure de la délinquance et de l’insécurité en France. Cette directrice de recherches émérite au CNRS évoque « un terme politique » au sujet de l’emploi du mot « décivilisation » par Emmanuel Macron. « Si on croise ce sentiment d’avoir été victime de violences sans contact avec tout le discours public qui s’installe à travers les différentes sortes de médias autour d’incidents qui peuvent être graves dans des zones bien délimitées, on peut effectivement faire passer l’idée que la France est un pays de plus en plus violent », estime-t-elle, mais les incidents graves « ne sont pas le quotidien des Français ».

 

Source: www.francetvinfo.fr

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