Après plusieurs mois à entretenir le flou, le gouverneur de Floride s’est déclaré candidat aux primaires républicaines. Ancien allié de Donald Trump, il est désormais son principal rival au sein du parti.
« Ron DeSantis, c’est Donald Trump avec un cerveau et sans le mélodrame. » La formule choisie par le Financial Times* pour décrire le gouverneur de Floride à quelques jours de sa réélection, à l’automne 2022, est décapante. Mais elle sonne juste. Plus policé que le milliardaire tapageur, ce conservateur de 44 ans compte bien suivre ses traces : mercredi 24 mai, il a annoncé sa candidature pour les primaires républicaines en vue de la présidentielle de 2024.
Cette déclaration n’est pas une surprise. Depuis des mois déjà, médias et observateurs spéculent sur les ambitions de Ron DeSantis. Car les signes se sont accumulés. Il y a d’abord eu « son omniprésence dans les médias nationaux », avec parfois plusieurs interventions par jour sur la chaîne de télévision conservatrice Fox News, relève Françoise Coste, professeure en études américaines à l’université Toulouse-Jean Jaurès. Puis sa victoire triomphante aux élections de mi-mandat, avec près de 20 points d’avance sur son adversaire démocrate. De quoi consacrer son nouveau statut de poids lourd du parti. Lors de cette campagne, le gouverneur sortant a récolté plus de 200 millions de dollars de dons. Selon Associated Press*, il lui reste 70 millions en réserve, une précieuse avance pour se lancer dans la coûteuse course à la Maison Blanche.
La Floride, le « modèle » de DeSantis pour les Etats-Unis
Début 2023, Ron DeSantis a entamé sa « pré-campagne » pour les primaires en publiant ses mémoires, un passage obligé pour tout candidat à la présidentielle souhaitant se faire connaître du grand public. Pour promouvoir Le Courage d’être libre : le modèle de la Floride pour redresser l’Amérique, le gouverneur a entrepris une tournée à travers le pays. Elle l’a notamment mené dans l’Iowa, Etat qui donne traditionnellement le coup d’envoi des primaires républicaines. « Il a besoin de faire connaître son nom, ses points de vue », expliquait en mars un donateur conservateur, interrogé par la chaîne NBC*.
Lors de ses rencontres avec le public, Ron DeSantis a livré peu d’éléments sur son programme politique. Mais, comme le suggère le titre de son livre, son bilan en Floride donne un aperçu de ses positions. En pleine pandémie de Covid-19, il avait gagné en notoriété en « flattant les anti-masques et les antivax » avec des restrictions sanitaires très limitées, rapporte Françoise Coste. « C’est probablement ce qui lui a permis d’être réélu, mais il a su s’approprier d’autres thématiques importantes pour les républicains », relève Lauric Henneton, historien et maître de conférences à l’université de Versailles-Saint-Quentin.
Dans un Etat où le vote conservateur est de plus en plus ancré, Ron DeSantis mène une politique anti-avortement et anti-immigration, allant jusqu’à envoyer des centaines de migrants sans papiers sur l’île de Martha’s Vineyard, lieu de villégiature des riches démocrates dans le nord-est du pays. « C’est de la politique spectacle, mais ce sont des images qui marquent l’électorat républicain », analyse Lauric Henneton.
« Il a promulgué la loi ‘Ne dites pas gay’, qui empêche de parler de l’orientation sexuelle aux élèves de primaire, et a révoqué le statut spécial [du parc d’attractions] Disney World », après que le groupe californien a développé la diversité dans ses films, ajoute Jeff Hawkins, chercheur associé à l’Iris. Disney a répliqué en portant plainte, estimant qu’il s’agissait d’une campagne de « vengeance ciblée ».
« Sa bataille contre Disney peut sembler ridicule, mais pour les conservateurs de son Etat et d’ailleurs, c’est une façon de dire : ‘Je suis comme Donald Trump, je mène la même guerre culturelle contre les progressistes’. »
Cette proximité avec Donald Trump remonte à 2018. Le soutien du locataire de la Maison Blanche avait alors permis à Ron DeSantis d’être élu gouverneur de Floride, d’une courte tête. « A l’époque, il fallait conquérir l’électorat trumpiste pour l’emporter. Comme la plupart des républicains, DeSantis a donc fait du Trump », souligne Lauric Henneton.
Un politicien « lisse » et sans « charisme »
Depuis, le jeune conservateur s’est avéré être un « Donald Trump avec un filtre », résume le maître de conférences. Loin de l’extravagance et des dérapages de l’ex-président, Ron DeSantis mesure ses propos. Sa repartie la plus osée ? « Vous pouvez pisser sur ma jambe, mais ne me dites pas que c’est la pluie », a-t-il rétorqué à un journaliste, lors d’une conférence de presse en 2021*.
Autre différence majeure avec Donald Trump : son parcours, classique pour un candidat à la présidentielle. Joueur de baseball au lycée, il a décroché une bourse pour étudier le droit dans les prestigieuses universités de Yale et Harvard. « Il met en avant ce passé sportif pour contrebalancer son cursus au sein de l’élite, et sembler plus proche du grand public », décrypte Lauric Henneton.
Donald Trump avait été exempté du service militaire pour raison médicale, en pleine guerre du Vietnam. Ron DeSantis, lui, a servi plusieurs années au sein de l’armée américaine, comme juriste, et a notamment accompagné les soldats d’élite des Navy Seals lors d’un déploiement en Irak. Il a ensuite commencé sa carrière en politique en tant qu’élu à la Chambre des représentants, entre 2013 et 2018.
Pour les républicains, le gouverneur de Floride « présente donc pas mal d’avantages que Donald Trump n’a pas », assure Françoise Coste. « Il est plus jeune, n’est pas englué dans des affaires judiciaires et, sur le plan idéologique, il est tout aussi conservateur », détaille-t-elle, alors que l’ancien président a été inculpé dans l’Etat de Nouveau -York pour avoir acheté le silence d’une actrice de films pornographiques. « Pour un parti qui veut mobilisateur son électorat sans revivre des polémiques et mises en accusation, il semble être un bon candidat », juge aussi Jeff Hawkins.
« La candidature de DeSantis est du pain bénit pour une partie de la base républicaine, qui aimerait tourner la page Trump sans abandonner le trumpisme pour autant. »
Est-ce suffisant pour permettre au gouverneur de Floride de s’imposer au niveau national, face à un ancien chef d’Etat habitué des médias ? « Ron DeSantis est plus calculé que Donald Trump, mais cette absence de spontanéité le rend aussi plus lisse. Il manque de charisme », tempère Lauric Henneton.
Donald Trump contre « Ron la morale »
Ce nouveau rival est en tout cas pris au sérieux par l’actuel favori chez les républicains. « Depuis son élection en 2018, DeSantis s’est montré très ambitieux, et Trump ne lui pardonne pas d’oser l’affronter lors des primaires », souligne Françoise Coste. L’ex-président considère que le gouverneur « lui doit tout et ne fait pas preuve de loyauté envers lui », confirme Lauric Henneton. Signe de cette rupture, le milliardaire l’a affublé de plusieurs surnoms moqueurs, comme « Ron la morale », et a multiplié les attaques à son encontre avant même l’annonce officielle de sa candidature, rappelle Bloomberg*.
A quelques mois du vote des partisans, Donald Trump conserve toutefois une « emprise sur une partie des républicains », note Jeff Hawkins. L’ancien chef d’Etat arrive largement en tête de toutes les dernières enquêtes d’opinion, creusant son avance sur Ron DeSantis au fil des mois, selon l’agrégateur de sondages du site spécialisé FiveThirtyEight*. « L’extrémisme et l’extravagance des candidats va beaucoup peser pour les primaires du Parti républicain, qui s’est radicalisé sous Donald Trump, poursuit le chercheur. Mais pour remporter la présidentielle qui suivra, il faudra se positionner au centre. »
« Ron DeSantis a un meilleur profil pour remporter l’élection générale, mais il est loin derrière Donald Trump pour les primaires. C’est un vrai casse-tête pour le parti. »
Jeff Hawkins, chercheur associé à l’Iris à franceinfo
Qui soutenir entre ces deux hommes ? Pour les responsables conservateurs, le choix s’annonce d’autant plus complexe que l’ex-président a la défaite amère… et le pouvoir de couler la campagne républicaine. « Si Donald Trump est écarté des primaires, il est possible qu’il cherche à emmener ses électeurs avec lui », en les incitant à ne pas voter pour le candidat désigné pour affronter les démocrates, avance Jeff Hawkins. Une telle division laisserait le champ libre à Joe Biden, qui se présente pour un second mandat.
« Pour les républicains, Donald Trump n’est pas inévitable en 2024, mais il est difficilement contournable », insiste Jeff Hawkins. Dans ces conditions, Ron DeSantis peut-il détrôner l’ancien chef de l’Etat ? Le premier débat des primaires du parti conservateur, en août, donnera un aperçu de sa capacité à remporter ce duel.
Source: www.francetvinfo.fr