L’incursion en territoire russe a été revendiquée par la légion Liberté de la Russie et le Corps des volontaires russes (RDK), deux unités composées de Russes qui combattent pour Kiev.
Ils ont semé panique et pagaille pendant plus de 24 heures. Deux groupes se présentant comme des combattants russes ont pénétré la région frontalière de Belgorod depuis l’Ukraine, lundi 22 mai, contraignant les autorités locales russes à décréter une opération antiterroriste. Celle-ci a été levée mardi en fin d’après-midi. Andriï Yousov, porte-parole du renseignement militaire ukrainien (GRU), a déclaré qu’aucun citoyen ukrainien n’était impliqué dans cette incursion inédite en territoire russe. Celle-ci a été très rapidement revendiquée par deux unités : la légion « Liberté de la Russie » et le Corps des volontaires russes (RDK).
La première a relayé une vidéo appelant à « mettre fin à la dictature du Kremlin ». Un porte-parole de l’unité, surnommé « Caesar », se décrivait en janvier comme un « nationaliste de droite », dans un entretien à Radio Svoboda (en russe) . « Je pense qu’il faut vivre chez soi. Vous n’avez pas à envahir qui que ce soit. » Ce représentant très médiatisé admet également avoir été membre du Mouvement impérial russe, une organisation paramilitaire d’extrême droite classée comme terroriste en Russie, qu’il a quittée peu avant 2014 et les combats dans le Donbass.
Une légion aux origines incertaines
Ces combattants de la légion « sont des Russes qui s’inscrivent dans une forme de républicanisme démocrate, semblable à l’opposition classique », explique le chercheur Adrien Nonjon, spécialiste des mouvements d’extrême droite et nationalistes en Ukraine. « Ils sont animés par une volonté de restaurer l’état de droit. Cette unité est bien plus consensuelle, d’un point de vue idéologique, que le Corps des volontaires russes. » Elle a d’ailleurs adopté le drapeau traditionnel de l’opposition russe, bleu et blanc.
Selon le renseignement ukrainien, la légion Liberté de la Russie serait née après la défection d’une compagnie russe, en mars 2022, qui aurait choisi de prendre parti pour Kiev. Le mois suivant, trois hommes cagoulés avaient ainsi témoigné (en russe) lors d’une conférence de presse organisée par l’agence Interfax-Ukraine. « Mais il est impossible de retracer l’origine de ces combattants ou de retrouver leur unité russe, assure Adrien Nonjon. Il s’agit surtout d’un symbole, pour montrer que des Russes eux-mêmes ont compris qui était le véritable ennemi. »
Les procédures de recrutement de cette unité sont inconnues, tout comme son organisation. Personne ne sait combien d’hommes la composent – « peut-être quelques centaines ». C ette légion affirme notamment avoir combattu dans les environs de Bakhmout, encadrée par des officiers ukrainiens. La Cour suprême russe a attendu la mi-mars pour la reconnaître comme « organisation terroriste ».
Un corps de volontaires à l’idéologie radicale
Le Corps des volontaires russes (RDK), quant à lui, est composé de citoyens russes vivant depuis plusieurs années en Ukraine. Son idéologie est radicale et extrémiste. La structure a été créée officiellement en août 2022, mais elle intègre des éléments ayant déjà combattu en 2014, dans le giron du régiment Azov. Son fondateur, Denis Kapoustine, né à Moscou, est plus connu sous le nom de « White Rex ». Ancien hooligan et organisateur de tournois de MMA, il a lancé en 2008 une marque de vêtements arborant un soleil noir, symbole prisé par les groupes néonazis.
Lundi matin, le RDK a d’abord publié trois vidéos d’infiltrations nocturnes dans des villes russes, avant de revendiquer l’incursion dans la région de Belgorod. Un peu plus tard, l’unité a dit avoir capturé un blindé de transport BTR-82A.
Alexeï Levkine (l’homme à la barbe sur la photo ci-dessous), est bien connu. Ancien membre du groupe néonazi russe M8L8tx, il était une figure du mouvement Wotanjugend, qui qualifiait notamment de « héros » le suprémaciste blanc Anders Breivik, auteur de l’attentat de 2011 en Norvège. Malgré des documents accablants (en anglais) , Alexeï Levkine rejette le qualificatif de « néonazi » (en russe) .
Le RDK combat sous une bannière déclinant l’insigne de l’organisation « Idée Blanche », créée au milieu des années 1930 par Viktor Larionov, figure du mouvement blanc nationaliste, héritier du tsarisme. « L’armée Vlassov, ces volontaires russes combattant pour les nazis à partir de 1942, est également l’une des références de cette unité », ajoute Adrien Nonjon .
Le RDK défend le concept d’ « intransigeance » et rejette en bloc toute forme de coopération avec « le successeur du régime soviétique » : « Vladimir Poutine et ses acolytes détruisent les Russes en tant que groupe ethnique », dénoncent-ils, au bénéfice d’une « prétendue nation politique ». Le RDK prône (en russe) un Etat « fondé sur les territoires peuplés majoritairement de Russes de souche » et appelle à l’autodétermination des autres citoyens de la fédération. L’unité réclame un Etat ethnique slave, contre un « monde russe » multiculturel.
Un faible poids, mais des coups d’éclat
« Ces militants ultranationalistes et néonazis russes étaient déjà présents en Ukraine bien avant l’invasion » de février 2022, explique le chercheur Adrien Nonjon. Au tournant des années 2010, « de nouveaux groupes nationalistes, mieux contrôlés, ont été créés en Russie pour court-circuiter les groupes nationalistes trop critiques du pouvoir. » Ce qui n’a pas empêché l’apparition en Russie de groupes paramilitaires d’extrême droite, comme Russitch. Certains militants ont alors posé leurs valises en Ukraine et rejoint parfois des structures paramilitaires. Alexeï Levkine a par exemple combattu au sein de la première version du régiment Azov, en 2014.
Les liens entre le RDK et l’armée ukrainienne sont flous. Le Conseil civique, une association basée à Varsovie, en Pologne, affirme avoir recruté des soldats pour les intégrer dans cette unité, au sein de la légion étrangère de l’armée ukrainienne. « J’ai tout de même l’impression que la légion et le RDK se sont autonomisés au fil du temps, même s’ils doivent rendre des comptes à l’état-major ukrainien, estime Adrien Nonjon. Contacté par franceinfo, le RDK a répondu qu’il n’accordait plus d’entretien, à moins d’effectuer un don pour les volontaires étrangers.
La légion Liberté de la Russie et le Corps des volontaires russes se sont longtemps ignorés. En septembre dernier, le RDK assurait n’avoir jamais discuté avec l’autre unité. Malgré leurs divergences idéologiques, à la mi-mai, les deux structures sont finalement tombées d’accord pour combattre ensemble. L’alliance a été mise en scène par des responsables des deux groupes, dont « White Rex » (à droite sur la photo ci-dessous). « Pour eux, il s’agit finalement d’une lutte collective contre la Russie de Vladimir Poutine, et sa guerre injuste contre des frères », observe Adrien Nonjon. « Frères de race pour le RDK, démocratie pour la légion. »
« Envoyer un message à la population russe »
L’incursion dans la région russe de Belgorod a été lancée une dizaine de jours plus tard. Son objectif est de « créer une zone démilitarisée à la frontière », explique un communiqué de la légion consulté lundi par franceinfo, afin de prévenir des frappes sur l’Ukraine. Les combats se sont déroulés sur une poignée de kilomètres. En réalité, « il s’agit surtout d’un opération de communication, afin d’envoyer un message à la population russe », résume Adrien Nonjon, malgré la discrétion des médias russes sur l’affaire. « Il y a également un côté ‘troll' », afin de mettre à l’épreuve les forces russes et d’exposer leurs faiblesses.
Si le rôle du RDK paraît minime sur le théâtre ukrainien, ce coup d’éclat a tout de même déstabilisé les autorités russes, lui assurant visibilité et recrues potentielles. L’unité s’était déjà illustrée lors d’infiltrations dans la région frontalière de Briansk, les 2 et 6 avril, avec un effet surtout psychologique. Elle pose ainsi une menace multiple « de sabotages transfrontaliers et d’attaques de partisans de l’intérieur », expliquait à l’AFP Lucas Webber, du réseau de recherche Militant Wire.
Une « Armée nationale républicaine », qui opérerait en territoire russe, complète le tableau des structures armées russes aujourd’hui favorables à Kiev. Ce groupuscule mystérieux a notamment revendiqué les attentats contre Daria Douguina, fille de l’idéologue Alexandre Douguine, et le blogueur militaire Vladlen Tatarsky. Mais peut-être par opportunisme. « On ne sait quasiment rien de cette NRA », selon Adrien Nonjon, sinon qu’elle aurait été fondée par un ancien député russe communiste en exil, Ilya Ponomarev. Le RDK accuse régulièrement l’élu de récupération et ne goûte guère ses tentatives pour unifier les mouvances russes.
Source: www.francetvinfo.fr