Les trous creusés par les militants anti-autoroute des Soulèvements de la Terre peuvent-ils attirer une espèce protégée de tritons ?

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Une bâche plastique n’est pas nécessaire lorsque le sol est argileux. La présence de tritons crêtés à proximité rend probable que ces nouvelles mares soient colonisées, selon les spécialistes.

Suffit-il de creuser un trou dans une forêt pour créer une mare ? Lors d’un week-end de protestation contre le projet d’autoroute de l’A133-134, des militants des Soulèvements de la Terre ont réalisé deux trous d’eau dans la forêt de Bord (Eure), située à 20 kilomètres de Rouen. L’objectif de ces grandes flaques est d’attirer des tritons crêtés, une espèce d’amphibiens protégée dont les militants espèrent que la présence participera à décourager le projet autoroutier.

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Sur Twitter, les réactions ont vite afflué, de la part des opposants aux Soulèvements de la terre. « S’il fallait illustrer l’ignorance et la stupidité de ces fanatiques : croire qu’il suffit de creuser un trou pour créer une mare. Et ça se dit ‘écolos’ franchement, c’est pitoyable ! Retournez en ville et taisez-vous à jamais », s’est par exemple fendu le député RN, Jean-Philippe Tanguy. Alors, les tritons vont-ils « se mettre bien », comme l’a déclaré le mouvement écologiste, et profiter à terme d’une eau stagnante ? Pour le savoir, franceinfo a sollicité l’avis de plusieurs experts.

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La première critique, récurrente sur les réseaux sociaux, concerne l’imperméabilité des trous creusés par les militants, qui ne sont pas étanchéifiés par une bâche plastique. Stéphanie Morel, animatrice réseau biodiversité et océan chez France nature environnement, assure qu’il est tout à faire possible de créer une mare sans bâche plastique, à condition que la nature du sol s’y prête. « S’il est argileux, l’eau sera retenue. Avant que l’homme et les bâches plastiques existent, il y avait bien des trous d’eau », ironise-t-elle.

Or, les sols de la forêt de Bord possèdent une couche d’argile à silex en profondeur qui permet la présence de mares, explique à franceinfo Clément-Blaise Duhaut, chargé de mission au Conservatoire d’espaces naturels de Haute-Normandie, qui a effectué un référentiel pédologique (qui concerne l’étude de la matière des sols) de la région. « Mais on a plusieurs types de sols en forêt de Bord, ajoute-t-il. Pour savoir où creuser, le plus sûr est d’effectuer un sondage pédologique. La présence d’une mare déjà existante à proximité reste un bon indice sur le type de sol. »

Sur Twitter, le groupe de naturalistes militants @NaturalistesDTR ayant participé à l’action des Soulèvements de la Terre, assure que la mare a été « creusée dans de la terre argileuse, à proximité d’une végétation indicatrice d’une hydromorphie évidente » et que « ce ‘trou’ se remplira au plus tard lors des pluies à l’automne prochain ». « Au fur et à mesure, la mare va se remplir. Des amphibiens et possiblement des tritons vont s’y installer », précise Sonia Saïd, écologue et chercheuse à l’Office français de la biodiversité.

« La mare ne servira probablement pas avant l’année prochaine »
« Il n’est jamais garanti qu’une espèce vienne. D’autres amphibiens peuvent le faire. Mais si le triton est déjà présent dans la forêt, il est probable qu’il s’y installe », renchérit Stéphanie Morel. Les trous « ont été positionnés à proximité d’une autre mare, grouillante de larves de salamandres, tritons, crapauds », affirment justement les @NaturalistesDTR sur Twitter. « Densifier un réseau de mares, surtout en ces temps de sécheresse, ça a du bon. Et puis, cela rend la population de tritons présente plus résiliente. Quand on a une seule mare, le risque, c’est que quelqu’un, en pensant bien faire, relâche un poisson dans la mare, et là, c’est une catastrophe pour les larves de tritons », complète Cédric Baudran, naturaliste herpétologue (spécialiste des reptiles et des amphibiens) à l’Office national des forêts.

Les experts saluent globalement l’initiative visant à favoriser les milieux propices aux tritons crêtés, mais expliquent que plusieurs critères sont à remplir pour créer une mare optimale. « Les tritons crêtés affectionnent les mares qui ont un certain âge, où la végétation a pu se développer. Souvent, on les creuse en automne pour que les pluies les remplissent et qu’elles soient fonctionnelles au printemps lors de la phase de reproduction. A cette période de l’année, c’est un peu tard. Elle ne servira probablement pas avant l’année prochaine », avance Jean Cassaigne, secrétaire de la Société herpétologique de France. « Il faut se laisser une année ou deux, le temps que les sédiments se colmatent, pour que la mare soit complètement opérationnelle. Idéalement, les tritons préfèrent les grandes étendues, pas très ombragés. C’est plus rare de les trouver en forêt », analyse Cédric Baudran.

Une population en diminution
« Créer des mares est toujours très bien pour les tritons, surtout dans le contexte du réchauffement climatique où il y a de moins en moins d’eau », poursuit Françoise Serre-Collet, herpétologue au Muséum national d’histoire naturelle à Paris. Les trous éphémères sont, selon lui, une bénédiction pour les populations de tritons, puisque l’absence de poissons permettent de laisser grandir les larves. « Ce n’est pas grave si la mare s’assèche au bout d’un moment. Les tritons n’y restent pas toute l’année, ils la rejoignent principalement pour se reproduire au printemps », ajoute Stéphanie Morel. L’assèchement ne doit cependant pas être trop prématuré, pour laisser le temps aux larves d’aller au bout de leur maturation. Le risque d’un espace trop restreint « est qu’en cas de sécheresse, il s’assèche avant la fin du développement des larves qui est de 60 jours environ. Dans le cas présent, sur la photo, on se dit que le trou est peut-être un peu petit », concède Jean Cassaigne.

Enfin, concernant les dégâts causés sur les racines des arbres en creusant, l’écologue Sonia Saïd se veut rassurante : « Non, il n’y a pas de raison que deux racines mises à nu les mettent en danger. Un arbre ne tient pas que sur deux racines, heureusement ». En revanche, « les projets routiers qui cloisonnent les habitats » menacent la biodiversité, regrette Stéphanie Morel. « Les tritons de part et d’autre d’une route ne peuvent plus se mélanger génétiquement. C’est nocif. »

La population de tritons crêtés est déjà en diminution, car son habitat recule de plus en plus, selon Françoise Serre-Collet. Pour offrir un milieu favorable à leur reproduction, la spécialiste des amphibiens encourage donc à creuser des cavités « en les laissant se remplir seules. Les amphibiens et les tritons vont venir. » Un conseil qui ne vaut que pour le triton et les amphibiens. L’agence régionale de santé, conseille, elle, aux êtres humains d’éviter l’eau stagnante dès l’arrivée des beaux jours, car elle favorise la prolifération du moustique tigre, vecteur de maladies.

 

Source: www.francetvinfo.fr

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