Pourquoi la psychiatrie attire moins les étudiants en médecine

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Actuellement, 30% des postes en psychiatrie ne sont pas pourvus dans les hôpitaux publics, selon la Fédération française de psychiatrie. Notamment parce que cette discipline souffre d’une mauvaise image auprès de nombreux étudiants.

« Moi aussi, j’ai eu certains préjugés sur la psychiatrie », confesse Franck, 29 ans, interne en psychiatrie dans un hôpital public d’Ile-de-France. Avant de basculer, au début de son internat, de la médecine générale vers cette discipline, il avait « peur d’avoir fait six ans de médecine pour finir par ne plus ausculter ». Sauf que le « psy est un médecin comme les autres » qui « sauve aussi des vies », tient-il à rappeler.

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Franck n’est pas le seul à avoir eu une vision tronquée de la psychiatrie. Selon une enquête nationale réalisée par l’Association française fédérative des étudiants en psychiatrie (Affep) en 2015, 56% des étudiants en médecine pensent qu’un interne en psychiatrie a probablement des « antécédents personnels psychiatriques » ou qu’il est « bizarre ». Une mauvaise réputation qui contribue au manque de psychiatres, faute d’étudiants formés en nombre suffisant.

Une pénurie « grave et sérieuse »
Si la France affiche, avec environ 15 000 psychiatres (dont 45% exercent en libéral) recensés en 2013, l’une des densités de ces spécialistes les plus élevées d’Europe avec 22 professionnels pour 100 000 habitants, il existe de fortes disparités entre les départements, comme le soulève le rapport du Sénat sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie (2013). Concernant les psychiatres libéraux et mixtes, le ratio est de 21 professionnels pour 100 000 habitants en Gironde contre 2 pour 100 000 en Vendée en 2009. Quant aux psychiatres salariés, quand il y a 27 médecins pour 100 000 habitants à Paris, ils ne sont que 5 pour 100 000 en Indre-et-Loire.

Une situation disparate qui soumet la profession à de « fortes tensions » et qui met en lumière une pénurie « grave et sérieuse » de psychiatres hospitaliers face à une « demande grandissante de prise en charge depuis la pandémie de Covid-19 », souligne Isabelle Secret-Bobolakis, secrétaire générale de la Fédération française de psychiatrie (FFP) et cheffe du service psychiatrie adulte au centre hospitalier de Marne-la-Vallée (Seine-et-Marne).

« Environ 30% des postes de praticiens hospitaliers ne sont actuellement pas pourvus. Il y a de nombreux endroits, reculés, loin des grandes villes, où il y a un désert en psychiatrie. »

Les difficultés de recrutement à l’hôpital public commencent à se faire ressentir en région parisienne où, dans un pôle de psychiatrie, sur « 15 départs de médecins psychiatres, seulement cinq sont remplacés, dont trois en intérim », affirme la secrétaire générale. Les carences d’effectifs, Jean-Del, interne en dernière année de psychiatrie en Ile-de-France, les a aussi constatées depuis le début de son internat. Lors de la plupart de ses sept stages, « il manquait du personnel ». « Dans l’hôpital public de secteur où j’étais lors de mon deuxième stage, ils ont dû fermer 20 lits, les médecins partaient, il n’y avait plus de paramédicaux », se remémore-t-il.

Ce manque de bras trouve son origine dans la crise que traverse l’hôpital public depuis plusieurs années, mais aussi dans une crise des vocations qui perdure. Entre 2012 et 2018, « entre 1% et 4% » des postes d’internes en psychiatrie restaient vacants à l’issue de la procédure de choix après l’examen classant national (ECN), qui détermine dans quelle spécialité les étudiants vont effectuer leur internat. Mais en 2019, ce pourcentage est passé à « 17,5% » note Marine Lardinois, psychiatre et vice-présidente de l’Association des jeunes psychiatres et jeunes addictologues (Ajpja). La psychiatrie stagne à la 40e place, sur 44, des spécialités choisies selon des statistiques sur les ECN de 2020.

« Aux yeux des autres, on ne sait pas soigner »
Pourquoi un tel désamour de la psychiatrie de la part des étudiants ? Son côté « moins spectaculaire que la chirurgie » la dessert, estime Isabelle Secret-Bobolakis. Mais aussi sa mauvaise réputation. « Dans la communauté médicale, nous sommes placés assez bas dans l’échelle de la considération, avec les médecins du travail, de santé publique et les biologistes, remarque Franck. Pour beaucoup d’étudiants, un psychiatre n’est pas vraiment un médecin. On ne sait pas soigner, aux yeux des autres. »

Cet intervenant en faculté de médecine admet que très souvent, quand il parle de sa spécialité avec des externes, « fou » et « folie » sont les premiers mots qui fusent de leur bouche. « Très vite, ils affirment que le psychiatre est une personne aussi folle que ses patients », dévoile l’interne. « On souffre de l’idée que se font les autres étudiants en médecine de nos malades, et donc de nous », complète Jean-Del.

« Tous les patients ne sont pas comme Kevin dans le film ‘Split’ avec 23 personnalités différentes ou comme les internés de ‘Vol au-dessus d’un nid de coucou’. »

Cette vision, Jean-Del a dû également la déconstruire au sein de sa propre famille. « Chez moi, tout le monde travaille dans le médical, mais personne n’a compris mon choix quand j’ai dit que j’allais en psychiatrie, se remémore-t-il. J’ai dû lever toutes les idées reçues qu’ ils avaient à propos de cette spécialité. » Conséquence possible du « vécu de stigmatisation très important » de leur spécialité, « 40 % des psychiatres en exercice évitent souvent voire toujours de tester leur spécialité auprès des personnes qu’ils rencontrent », remarque Marine Lardinois, selon une statistique de l’enquête # ChoisirPsychiatrie, créée en mai 2021, qui doit être publiée avant septembre 2022. Dans le cadre de cette enquête, menée par trois associations d’étudiants et de jeunes médecins en psychiatrie*, près de 3 400 personnes (externes en médecine, internes en psychiatrie et psychiatres diplômés) ont été interrogées afin de comprendre les déterminants de l’attractivité de la psychiatrie.

« Deux étudiants sur cinq ne font aucun stage en psychiatrie »
Au-delà de l’image négative dont souffre la psychiatrie, ces trois associations ont voulu savoir pourquoi, depuis quelques années, de moins en moins de futurs internes demandent cette spécialisation. Il ressort qu’en plus de la représentation biaisée qu’ont les étudiants de la psychiatrie, les cours et les étapes précédant l’internat ont des conséquences sur le choix de cette spécialisation. Si, lors de l’externat, certaines étapes sont obligatoires, comme les urgences, la médecine générale ou la chirurgie, la psychiatrie reste souvent boudée. « Deux étudiants sur cinq ne font aucun stage en psychiatrie, relève Nicolas Lunel, président sortant de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf). Cela fait beaucoup d’étudiants qui n’y passent pas, même jusqu’à la fin de leur cursus, et peu de facultés de médecine présentent l’ensemble des spécialités possibles. »

« Difficile de se faire une juste idée si on ne passe jamais en psychiatrie au cours de ses années d’études de médecine. »

Or, 70% des étudiants qui ont fait un stage en psychiatrie rapportent que « la rencontre avec les patients ainsi que les discussions avec les équipes ont modifié positivement leur perception de cette spécialité », souligne Nicolas Lunel.

Les sondés ont soulevé un autre écueil : la formation théorique qui, avec ses cours magistraux, reste peu adaptée à l’enseignement de la psychiatrie lors des trois dernières années d’études du tronc commun, en externat. « L’intervention, dans les cours, de patients experts, qui disposent du savoir expérientiel sur les troubles, le vécu des soins et le parcours de rétablissement, permettrait un véritable changement dans l’appréhension de cette spécialité. Cela rendrait réel et concret auprès des étudiants le fait qu’une personne qui souffre de troubles psychiques peut se rétablir », insiste Marine Lardinois.

Un regain d’intérêt avec la crise sanitaire ?
En attendant la remise d’un rapport au délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé, le professeur Frank Bellivier, les trois associations peaufinent leurs recommandations pour améliorer l’attractivité de la psychiatrie. Comme la possibilité de mettre en place un stage obligatoire pour les externes, de développer des enseignements pratiques, de mieux valoriser les carrières ou encore d’offrir davantage d’opportunités de faire de la recherche. Ces préconisations rejoignent les missions de la feuille de route de la santé mentale et psychiatrie du gouvernement, qui a pour objectif, notamment, d’améliorer l’attractivité de la profession.

Si, « aujourd’hui, tous les départs à la retraite ne sont pas remplacés », selon la secrétaire générale de la Fédération française de psychiatrie, la jeune génération se dit pourtant « confiante ». « Ces dix prochaines années vont être des années de restructuration, il y a de plus en plus d’initiatives sur le terrain pour motiver les étudiants à venir en psychiatrie et le réservoir d’internes, qui seront les psychiatres de demain, est motivé », assure Ilia Humbert, la présidente de l’Association française fédérative des étudiants en psychiatrie (Affep). Une vision partagée par Franck, qui a l’impression « qu’avec la crise sanitaire, la question de la santé mentale a retrouvé une forme d’intérêt chez les jeunes médecins ».

Jean-Del et Franck continuent de faire œuvre de pédagogie auprès de leurs pairs et des externes qu’ils rencontrent afin de redorer le blason de la psychiatrie. « Notre génération est plus encline à faire des ponts entre les différentes spécialités, assure Franck. Et la psychiatrie est la plus riche et la plus transversale. »

* L’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), l’Association française fédérative des étudiants en psychiatrie (Affep) et l’Association des jeunes psychiatres et jeunes addictologues (Ajpja).

 

Source: www.francetvinfo.fr

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