La Berlinale a fait entendre la voix des campagnes et celle des femmes en couronnant le film espagnol « Alcarràs » de la réalisatrice Carla Simón, dans un palmarès presque exclusivement féminin.
La Berlinale a décerné, mercredi 16 février, l’Ours d’or au film « Alcarràs » de la cinéaste espagnole Carla Simón, portrait tendre et profond d’une famille d’agriculteurs bousculée par la modernité.
En remportant ce prix, le cinéaste de 35 ans devient le troisième jeune réalisateur d’affilée à être couronné par un grand festival, après la Française Julia Ducournau, Palme d’or à Cannes pour « Titane » et Audrey Diwan, Lion d’or. . à Venise pour « The Event ».
Si l’on ajoute à cela le triomphe aux Oscars 2021 de l’Américaine Chloé Zhao, avec « Nomadland », ces récompenses les plus prestigieuses de la planète cinéma semblent témoigner, cinq ans après le début de l’affaire Weinstein, d’une volonté de rééquilibrage dans une industrie longtemps dominée par les hommes.
Félicitations à tous les gagnants ! Nous sommes ravis de voir enfin les gagnants de cette année avec leurs prix bien mérités. « Alcarràs » de Carla Simón et produit par María Zamora, Stefan Schmitz, Tono Folguera et Sergi Moreno a remporté l’Ours d’or du meilleur film. Pure joie sur scène ! pic.twitter.com/b3TjLJ5KiV
« Nous sommes la moitié de l’humanité »
A Berlin, le palmarès est presque exclusivement féminin, avec un prix de la meilleure réalisation à la Française Claire Denis pour « Avec amour et acharnement » et un prix « genderless » de la meilleure interprétation à l’actrice germano-turque Meltem Kaptan.
Claire Denis, peut-être la plus grande cinéaste française en activité, et l’une des meilleures au monde, remporte un nouveau grand prix avec la mise en scène à la Berlinale pour Avec amour et acharnement où l’on retrouve deux interprètes d’exception : Binoche et Lindon… 😍 pic. twitter.com/AaBhg6JxwZ
– Fx_ Manson bientôt Clara (@manson_fx) 16 février 2022
« C’est une tendance qui est là pour durer car les références changent. Quand j’étais étudiante, c’était difficile de parler de réalisatrices, mais petit à petit ça change, parce qu’il y a une volonté, parce qu’on est la moitié de l’humanité et qu’il faut donc raconter la moitié des histoires. Mais nous n’en sommes pas encore là », a déclaré Carla Simón en conférence de presse, soulignant que le cinéma comptait encore une minorité de réalisatrices et de productrices.
L’Ours d’or éclaire aussi l’avenir de l’agriculture et des paysans, bousculés par la modernité. « Alcarràs » est une ode aux petits exploitants qui se déroule le temps d’un été dans un coin de Catalogne baigné de soleil. Le président du jury, le réalisateur américain M. Night Shyamalan, a salué la performance des comédiens qui ont su « montrer la tendresse et le combat d’une famille », et mettre en lumière « notre dépendance à la terre ».
La réalisatrice, qui a perdu ses parents très jeune et a grandi près de cette petite ville d’Alcarràs, a remercié sa famille, « qui cultivait des pêches et sans laquelle (elle) n’aurait jamais été aussi proche de ce monde ». Carla Simón, qui avait déjà reçu un premier prix du cinéma à Berlin pour « Été 1993 » en 2017, a également dédié son prix aux « petites familles d’agriculteurs qui cultivent chaque jour leur terre pour remplir nos assiettes ».
Dans « Alcarràs », c’est ce monde en voie de disparition qui envahit l’écran, d’autant plus criant que les comédiens sont des non-professionnels, recrutés aux alentours. Le film suit la famille Solé qui, depuis trois générations, cultive des centaines de pêchers sur les terres de riches propriétaires terriens.
Mais ces derniers veulent arracher les arbres pour installer des panneaux solaires et proposent au Solé de s’adapter à cette nouvelle donne ou de partir. Le chef de famille, Quimet, refuse de voir son monde disparaître.
Autour de lui, c’est tout un fragile équilibre familial, des enfants aux personnes âgées, qui menace de s’effondrer. Le casting, composé d’acteurs non professionnels, est filmé avec beaucoup de tendresse. Le film est à la fois émouvant et profond sur les questions de la modernisation forcée des campagnes ou du conflit entre économie et écologie.
Carla Simón succède au Roumain Radu Jude, Ours d’or l’an dernier, après une semaine de compétition à un rythme soutenu en raison du Covid-19. Les organisateurs peuvent se féliciter d’avoir, au prix de mesures sanitaires drastiques, mis un terme à la compétition après un ersatz de festival, uniquement en ligne, l’an dernier.
Seul bémol : l’absence d’un grand nom du cinéma, la Française Isabelle Huppert, qui devait recevoir une récompense pour l’ensemble de sa carrière d’actrice. Testée positive au Covid-19 la veille, elle a dû renoncer au voyage à Berlin.