Des dizaines d’enfants en Europe et aux États-Unis ont été infectés par une hépatite aiguë d’origine inconnue depuis début avril.
« Très étrange », « extrêmement surprenant » ou encore « vraiment insolite et dérangeant ».
Ce sont les qualificatifs qu’emploient virologues et pédiatres interrogés par France 24 à propos de l’apparition depuis près d’un mois chez de jeunes enfants de cas d’hépatite – c’est-à-dire d’inflammation du foie – d’origine inconnue.
Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies a annoncé mardi 19 avril l’avoir observé dans cinq pays européens.
Les premières infections remontent à début avril en Ecosse.
Ensuite, des enfants sont tombés malades dans le reste des îles britanniques.
Il y a eu officiellement un peu moins de 80 patients – âgés de 22 mois à 13 ans – au Royaume-Uni, selon l’Agence britannique de sécurité sanitaire, qui a ouvert une enquête sur le phénomène il y a deux semaines.
Hépatite aiguë très rare chez l’enfant
Depuis lors, des cas d’hépatite infantile ont été observés en Espagne, au Danemark et aux Pays-Bas, selon le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies.
Même les Etats-Unis sont touchés, puisque neuf enfants malades ont été soignés en Alabama.
Le nombre d’infections apparaît certes faible dans un monde qui lutte toujours contre une épidémie de Covid-19 qui a touché plus de 500 millions de personnes.
Mais cela a suffi pour alerter l’Organisation mondiale de la santé, qui a prévenu que le nombre de cas devrait augmenter dans les « prochains jours » maintenant que les autorités sanitaires du monde entier les recherchent activement.
Mais le nombre total d’enfants touchés n’est pas le facteur le plus préoccupant pour les spécialistes.
« Ce qui me choque, c’est d’abord que l’hépatite soit une affection plutôt rare chez les enfants, et qu’en plus ce soit des cas aigus, ce qui est encore plus rare », résume Will Irving, virologue à l’université de Nottingham, contacté par France 24.
L’hépatite a souvent des causes qui n’ont rien à voir avec le monde des enfants.
Ils peuvent survenir lors d’une consommation excessive d’alcool, se transmettre lors de rapports sexuels si l’un des partenaires est porteur (hépatite A) et sont plus fréquents chez les toxicomanes par voie intraveineuse qui utilisent des aiguilles partagées non nettoyées (hépatite VS).
Les différentes formes d’hépatite sont d’ailleurs souvent d’évolution bénigne et les principaux symptômes – fièvres, diarrhées, douleurs à l’estomac, ictère – se résorbent ou restent faibles.
Il n’en est rien avec cette hépatite puisque « presque tous les enfants avaient des foies très abîmés », souligne Will Irving.
Six d’entre eux ont même dû subir une greffe de foie, « ce qui est très rare », se souvient Graham Cooke, spécialiste des maladies infectieuses à l’Imperial College de Londres, contacté par France 24.
Pour couronner le tout, il s’agit actuellement d’une hépatite « mystère ».
Aucun des principaux suspects – les virus responsables des hépatites A à E – n’a été retrouvé dans le corps des jeunes patients.
Aucun facteur environnemental potentiel commun à tous les cas, comme la consommation d’aliments contaminés ou l’exposition à certaines substances toxiques (hépatite toxique), n’a pu être identifié à ce stade.
La répartition géographique des cas – de part et d’autre de l’Atlantique – réduit encore les chances de trouver une explication liée à un facteur environnemental local.
Lien vers Covid-19 peu probable
Pandémie oblige, le virus Sars-CoV-2 a également été suspecté.
« Deux hypothèses ont été émises : soit c’est un effet encore méconnu de la dernière variante d’Omicron, soit on ne s’en rend compte que maintenant, après deux ans durant lesquels les enfants ont été protégés par des confinements et autres mesures de distanciation sociale. , que le Covid-19 peut provoquer des hépatites chez certains jeunes », résume Alastair Sutcliffe, chercheur en pédiatrie à l’University College London, contacté par France 24.
Un lien entre le coronavirus et ces cas d’hépatite aiguë qui laisse ce spécialiste dubitatif.
D’abord, parce que plusieurs enfants touchés n’ont pas été infectés par le Covid-19 en même temps.
Ensuite, s’il s’agissait d’un symptôme encore méconnu du Covid-19, « il y aurait probablement eu beaucoup plus de cas d’hépatite, vu la vitesse de propagation du Sars-CoV-2 », estime Will Irving.
Les autorités sanitaires britanniques ont même enquêté pour savoir s’il pouvait s’agir d’un effet indésirable d’un vaccin contre le Covid-19.
Mais aucun des enfants malades n’a été vacciné.
« C’est peut-être la seule bonne nouvelle de cette histoire.
Au moins l’antivax ne pourra pas s’en emparer », note Alastair Sutcliffe.
Il peut également y avoir un lien plus indirect avec la pandémie.
Les confinements successifs ont pu jouer un rôle, suggèrent tous les experts interrogés par France 24. « On a une maladie anormale qui apparaît dans un contexte sanitaire anormal, il est logique de se demander s’il n’y a pas de lien », souligne Alastair Sutcliffe.
Dans ce cas, « les enfants développent leur système immunitaire au contact des virus, mais depuis deux ans les plus jeunes sont protégés par des confinements et des mesures de distanciation, ce qui signifie que leur système immunitaire n’a pas adaptés à certains virus », explique Graham Cooke.
La piste de l’adénovirus AD-41 Certains pensent même avoir identifié un possible coupable : AD-41.
Il s’agit d’un adénovirus – une grande famille de virus le plus souvent responsables de symptômes très bénins comme le rhume ou la fatigue – « qui est connu pour provoquer des gastro-entérites chez l’enfant, mais qui n’a pour l’instant jamais été associé à un risque d’hépatite ». note Will Irving.
La présence de cet adénovirus a été détectée chez plusieurs enfants atteints d’hépatite « mystère » au Royaume-Uni et « on sait qu’il y a actuellement une forte augmentation des infections par cet adénovirus dans la population britannique », reconnaît Graham Cooke.
« C’est assez effrayant de penser que le confinement puis l’assouplissement des mesures sanitaires [qui ont permis de favoriser la propagation de l’adénovirus] ont pu permettre de découvrir une nouvelle cause d’hépatite », remarque Alastair Sutcliffe.
Mais encore une fois, rien n’est sûr.
L’AD-41 n’était en effet pas présent chez tous les jeunes atteints d’hépatite.
« Ce n’est pas forcément une réfutation de la thèse d’un lien entre cet adénovirus et des cas d’hépatite – on pourrait, par exemple, ne pas chercher au bon endroit – mais ça l’affaiblit », reconnaît Graham Cooke.
Reste l’hypothèse de la découverte d’un tout nouveau virus à l’origine de ces infections.
« Ce serait quand même extraordinaire, étant donné qu’on est toujours dans un contexte pandémique dû, justement, à un nouveau virus », estime Alastair Sutcliffe.
D’autant plus surprenant qu’on passerait d’un nouveau virus largement inoffensif pour les plus jeunes à un autre pathogène qui semble cibler les enfants, ou du moins provoquer des formes graves exclusivement chez eux.
Cette dernière hypothèse serait la plus facile à vérifier.
« Nous disposons de techniques avancées pour identifier la présence d’ADN ou d’ARN étranger – ce qui suggère l’existence d’un virus – dans des tissus prélevés, en l’occurrence, sur des morceaux de foie d’enfants infectés », résume Will Irving.
En revanche, s’il s’agit de découvrir si tous ces enfants ont été exposés à la même toxine ou à un aliment contaminé, ce sera une affaire beaucoup plus compliquée.