« Femme! La vie! Liberté! » Ce slogan venu du Kurdistan iranien se retrouve désormais sur de nombreuses pancartes à travers le pays, dans les manifestations organisées après la mort, le 16 septembre, de Mahsa Amini, 22 ans, aux mains de la police des mœurs à Téhéran.
Face aux autorités qui nient toute violence ou négligence, les rassemblements se multiplient en Iran, notamment pour protester contre l’obligation du port du voile. Au moins huit personnes sont mortes dans des affrontements avec la police, selon un bilan rendu public mercredi 21 septembre.
Afin de mieux comprendre l’ampleur de cette nouvelle explosion de colère, franceinfo a interrogé l’historien Jonathan Piron, spécialiste de l’Iran et chercheur associé au Gresearch and information group on peace and security (Grips).
Franceinfo : De grandes manifestations ont déjà secoué l’Iran fin 2017 et plus récemment en 2020, avec des raisons principalement économiques. La mort de Mahsa Amini peut-elle pousser plus d’Iraniens dans la rue ?
Jonathan Piron : Avec les événements en cours, il est encore très difficile de savoir si cela se transformera en un véritable soulèvement à travers le pays. Mais il y a quelque chose de nouveau par rapport aux mouvements de protestation précédents. Cette mobilisation semble toucher réellement différentes catégories de la population, dans une expression de rage et de colère qui n’est pas seulement dirigée contre une politique mise en place par le régime iranien, par exemple la hausse du prix du carburant…
Ici, c’est vraiment l’expression d’un manque, d’une réelle colère contre les symboles mêmes du régime de la République islamique, que sont notamment la question du port du voile et les instruments de répression et de contrôle. Celles-ci existent évidemment depuis les origines de la République islamique, mais elles ont vraiment été réactivées depuis l’accession au pouvoir du président Ebrahim Raisi, en août 2021.
Quels cercles manifestent habituellement en Iran ? Retrouve-t-on les mêmes profils que lors des derniers mouvements populaires ?
Tout dépend de la logique protestataire. En 2020, à Téhéran, c’était tous ceux qui dépendaient de l’économie informelle, sans protection contre la hausse des prix de l’essence. En 2021, dans le sud du pays, ce sont surtout les agriculteurs qui se sont mobilisés pour exiger un meilleur partage de l’eau. Souvent, le régime essaie de mettre un terme aux manifestations, aidant certains groupes et pas d’autres. Cette fois, ce n’est pas le cas.
« La colère traverse les différentes classes de la population et c’est assez inédit. »
Jonathan Piron, historien
chez franceinfo
Les Iraniens sont épuisés par des années de sanctions, par la pandémie, et par la crise économique qui s’est aggravée depuis le retrait américain [de l’accord sur le nucléaire iranien en 2018] et de nouvelles sanctions. La classe moyenne se rapproche de la classe précaire, et il sera difficile pour le régime de les monter les unes contre les autres.
La colère populaire est très visible sur les réseaux sociaux en Iran, malgré la censure. Comment ça marche?
Hormis Instagram, qui reste menacé, la plupart des réseaux sociaux comme Facebook, YouTube, Twitter sont interdits en Iran. Ce qui est bien hypocrite quand on sait que les hauts responsables du régime, dont l’ayatollah Ali Khamenei, communiquent régulièrement sur Twitter. Mais la population y a toujours accès en utilisant des moyens de contournement, comme les VPN [un logiciel qui permet de naviguer sur internet de manière anonyme]. Le partage d’informations se fait principalement sur WhatsApp et Telegram, où les vidéos des manifestations se diffusent actuellement.
Pour moi, ces images ont une certaine force car elles ont un impact sur les mentalités. Ils montrent justement des gens se rassemblant, brûlant leur voile en public, se coupant les cheveux… Ça amène à la constitution d’un nouveau répertoire de contestation, ça montre qu’on peut le faire. Il y a une sorte de chape de plomb qui rompt avec la transmission de ces images.
Quel schéma le régime pourrait-il suivre face à cette contestation populaire ?
Pour l’instant, il y a une forme d’attentisme, même si la répression a déjà été très violente par endroits. D’abord, les villes, les centres urbains et les campus universitaires bougent. Surtout au Kurdistan, qui est la région d’origine de Mahsa Amini.
« D’habitude, le régime coupe Internet pour étouffer la mobilisation. Elle peut durer un ou plusieurs jours, le temps que le pouvoir agisse sans que les images de violence ne circulent et n’alimentent la colère de la population.
Jonathan Piron, historien