En Russie, dans la rue et derrière les écrans, un mouvement anti-guerre

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Demonstrators march with a banner that reads: "Ukraine - Peace, Russia - Freedom", in Moscow, Russia, Thursday, Feb. 24, 2022, after Russia's attack on Ukraine. Hundreds of people gathered in the center of Moscow on Thursday, protesting against Russia's attack on Ukraine. Many of the demonstrators were detained. Similar protests took place in other Russian cities, and activists were also arrested. (AP Photo/Dmitry Serebryakov)

Malgré la répression, l’opposition à la guerre de Moscou en Ukraine mobilise les citoyens russes. Certains continuent à le manifester dans les rues, mais encore plus établissent des bases arrières.

« Je n’ai pas peur, je suis sorti seul », a écrit Stanislav sur Twitter, dans un message accompagnant une photo de lui manifestant dans une rue de sa ville, Azov, dans l’oblast de Rostov (ouest de la Russie).

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Entre les mains de ce Russe de 30 ans, une pancarte sur laquelle est écrit « #НЕТВОЙНЕ » (« pas de guerre »), en grosses lettres noires.

Car non, tous les Russes ne sont pas d’accord avec ce qui se passe en Ukraine.

Et bien qu’il reste minoritaire dans son expression publique du fait de la répression, le mouvement anti-guerre se mobilise sur Internet, principalement à travers les réseaux sociaux et les messageries cryptées comme Telegram et Signal.

Sur Twitter, le hashtag #ЯпротивВойны (« Je suis contre la guerre ») était également en tête des tendances en Russie mardi 1er mars.

« C’est le cas depuis le début de la guerre », a déclaré Stanislav à France 24.

Face à la répression, le choix de la discrétion

Bien sûr, en Russie, la mobilisation semble plus présente derrière les écrans, car au pays de Vladimir Poutine, manifester sur le trottoir son opposition à la guerre, c’est prendre le risque d’être arrêté et condamné.

En témoignent les chiffres publiés quotidiennement par l’ONG OVD-Info, un projet de média russe indépendant de défense des droits de l’homme visant à lutter contre les persécutions politiques.

Contactée par France 24, l’ONG précise qu’elle n’effectue pas un décompte des participants aux rassemblements contre la guerre, mais celui des personnes qui y sont arrêtées.

Près d’une semaine après le début de l’invasion russe, les chiffres sont déjà significatifs.

« Nous n’avons jamais vu autant de détenus par jour », explique Grigory Durnovo, analyste pour OVD-Info.

« Nous avons compté au moins 6 489 détenus en cinq jours. Cela suffit à nous montrer le nombre de personnes prêtes à sortir dans la rue et à exprimer leur point de vue.

Plus de 3.100 arrestations à Moscou, plus de 2.000 à Saint-Pétersbourg, une centaine à Ekaterinbourg, et quelques dizaines dans d’autres villes moins peuplées du pays, indique mardi un post Facebook de l’ONG.

La répression n’empêche pas des milliers de Russes de défier la loi pour afficher leur rejet de la guerre, mais dans ce pays de quelque 144 millions d’habitants, la grande majorité de ceux qui s’opposent à la guerre préfèrent se profiler bas.

Un phénomène que Grigory Durnovo justifie par la vague de répression observée en 2021 contre la société civile en Russie, et les poursuites pénales engagées contre les personnes ayant participé aux manifestations de début 2022. « Cela a vraiment eu un impact important sur les gens, ils ont se calmer », a-t-il déclaré à France 24.

Twitter, Signal, Telegram… les bases arrières du mouvement anti-guerre

Très souvent gouvernés par la peur, les manifestants trouvent donc des moyens de manifester leur opposition à la guerre tout en restant sous les radars.

« Les contacts entre manifestants se font principalement sur Twitter et Telegram », explique Stanislav, qui dépeint avant tout les réseaux de solidarité.

Sur ces groupes, les membres partagent des informations issues de médias indépendants (notamment de la chaîne de télévision en ligne Dojd), relaient actions et pétitions, mais soutiennent également les manifestants arrêtés par la police.

« Nous les aidons à payer les amendes, et nous trouvons aussi des avocats pour les aider », ajoute-t-il.

Selon les charges, précise OVD-Info sur son site, les risques encourus par les manifestants vont « de 2.000 à 300.000 roubles d’amende (de 17 à plus de 2.500 euros, NDLR) et jusqu’à 30 jours de détention ».

Ne pouvant compter sur la transparence des médias officiels concernant les manifestations, OVD-Info reçoit des informations directement du terrain et des détenus eux-mêmes.

« Ils nous appellent via notre numéro d’assistance téléphonique ou envoient des messages à notre bot Telegram », explique Grigory Durnovo.

« Nous leur demandons de nous dire le nombre de détenus dans un bus de police ou dans un commissariat, leurs noms, le nom de la ville, et toute autre information significative, comme d’éventuels cas de violence. »

Ces informations sont recoupées et enrichies avec d’autres sources d’information, ajoute l’analyste, évoquant des médias indépendants et les chaînes Telegram, et dans une moindre mesure les déclarations de fonctionnaires de police (qui doivent être comparées aux données récupérées par ailleurs).

« Les ‘médias officiels’ mentionnent parfois les manifestations anti-guerre, mais très brièvement, et nous ne pouvons pas les utiliser comme source car ils ne racontent pas toute l’histoire. »

Parfois, nous pouvons citer le nombre de détenus à partir des déclarations des responsables de la police, en le comparant avec nos données.

Une pétition recueille plus d’un million de signatures

Outre les ONG, des groupes de citoyens tentent de

porter la voix des « anti-guerre », profitant de leur métier ou de leur notoriété, en s’aidant des réseaux sociaux ou en trouvant du soutien dans les médias indépendants.

De nombreuses pétitions et lettres ouvertes circulent depuis le début du conflit : des avocats russes mettent en lumière la violation par la Russie de la Charte des Nations unies ;

les traducteurs de l’ukrainien ou du russe vers l’anglais déplorent que « le régime russe tente de justifier l' »attaque » militaire en falsifiant l’histoire et en déformant le sens des principaux concepts culturels et historiques » ;

sur YouTube, des scientifiques russes ont posté une vidéo pour manifester leur opposition à la guerre.

Mais l’initiative la plus marquante reste la pétition intitulée « Arrêtez la guerre avec l’Ukraine ! », lancée par Lev Ponomarev, un militant politique russe engagé dans la défense des droits de l’homme.

Le texte, qui appelle les citoyens russes à dire « non » à la guerre, a dépassé mardi le million de signatures.

La pétition demande notamment « un cessez-le-feu immédiat des forces armées russes et leur retrait immédiat du territoire de l’Etat souverain d’Ukraine ».

Selon Lev Ponomarev, si un million de signatures sont réunies, cela signifie que des dizaines de millions de personnes sont opposées à la guerre contre l’Ukraine, compte tenu des difficultés voire de l’impossibilité pour de nombreux Russes d’accéder à Internet.

« Sur Internet, les restrictions peuvent être contournées »

Sur les réseaux sociaux, de nombreux messages témoignent à la fois de la vigueur de certains Russes à manifester leur opposition à la guerre et au gouvernement, et de leur réticence à le proclamer dans la rue.

« En Occident, les étrangers écrivent sur les réseaux sociaux ‘C’est aux Russes d’arrêter le dictateur’, mais comment diable ? Ce monstre écrasera toute manifestation », lit-on dans les commentaires sous un post Facebook.

« Mes amis sont sortis manifester à Moscou aujourd’hui avec des pancartes. Personne ne les a rejoints », regrette un autre internaute, avant ironiquement dans un autre message : « Il faut sortir pour chanter des chansons ukrainiennes : le chant choral n’est pas encore interdit ! »

Manifester contre les décisions du gouvernement russe semble en effet beaucoup moins risqué sur Internet que dans la rue, malgré les efforts des autorités russes pour tenter de contrôler et de censurer certaines ressources en ligne.

Pour tenter de faire taire les voix dissidentes, très présentes sur la Toile, les autorités ont menacé d’imposer des amendes à plusieurs médias indépendants russes ou de les bloquer s’ils ne retiraient pas certaines publications sur la guerre en Ukraine, a indiqué le responsable. L’ONG Human Rights Watch s’inquiétait mardi de la forte augmentation de la censure.

Depuis quelques jours, Facebook et Twitter sont aussi dans le viseur de Roskomnadzor, le gendarme de la communication en Russie, qui en limite désormais l’accès.

Cependant, comme le souligne Stanislav, « sur Internet, les restrictions peuvent être contournées ».

De nombreuses ressources en ligne restent accessibles notamment en utilisant un VPN (réseau privé virtuel) dont l’usage est très répandu.

« Le VPN fait passer le trafic par des serveurs situés dans un pays autre que la Russie, où certaines sources d’informations peuvent être bloquées », ajoute le militant anti-guerre d’Azov.

Pour autant, il ne peut se contenter de cette base arrière, et même s’il est à chaque fois seul – ses amis ayant peur de manifester avec lui en plein jour – il dit vouloir continuer à prendre le risque de sortir dans la rue.

Car Stanislav en est persuadé : « Manifester uniquement sur Internet ne sert à rien ».

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