Elections en France : « jugement majoritaire » pour lutter contre l’abstention et le vote utile ?

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Expérimenté lors des primaires populaires de janvier, le soi-disant « jugement majoritaire » revient dans le débat des élections présidentielles françaises. Une expérimentation menée par l’association Mieux Voter, le CNRS et l’Université Paris-Dauphine a permis de comparer le mode de vote actuel à celui du « jugement majoritaire ».

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Avec 12 824 169 électeurs inscrits ayant préféré l’abstention à l’un des 12 candidats présents lors du premier tour de l’élection présidentielle, le vote à la majorité uninominale directe à deux tours, pratiqué pour les élections présidentielles françaises depuis 1965, a montré une fois de plus ses limites . Surtout parce qu’à ces abstentionnistes il faut ajouter les 543 609 votes blancs, les 247 151 votes nuls et les très nombreux – mais incalculables – votes utiles.

« Si on raisonne sur le pourcentage d’inscrits, le bloc abstention-blanc-null sort largement en tête au premier tour avec 27% quand Emmanuel Macron n’en fait que 20% », analyse Chloé Ridel, co-fondatrice du Mieux Association d’électeurs. « Cela veut dire que, quel que soit le vainqueur du 24 avril, 80% des Français inscrits sur les listes électorales n’auront pas voté pour le futur président au premier tour, dont la légitimité sera extrêmement fragile. »

 

L’association Mieux Voter milite depuis sa création, en janvier 2018, pour améliorer le système électoral français et propose la mise en place du jugement dit à la majorité.

Imaginé au début des années 2000 par deux chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Michel Balinski et Rida Laraki, ce mode de vote invite les électeurs à exprimer leur avis sur tous les candidats en leur attribuant une mention. Une méthode qui permet d’évaluer plusieurs candidatures et de les juger avec nuances, sans s’annuler.

 

« Outre l’abstention, le premier tour de la présidentielle a une fois de plus mis en lumière l’un des fléaux de notre démocratie : le vote utile », juge Ridel. « D’innombrables électeurs ont préféré parier sur un candidat mieux placé dans les sondages que sur leur premier choix », ajoute le co-fondateur de l’association.

De fait, Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont pleinement profité de l’utile logique de vote en détournant respectivement les votes de Valérie Pécresse, Éric Zemmour et le reste de la gauche. Pourtant, dans leur discours après la proclamation des résultats, ces trois candidats se sont exprimés comme si tous les votes qu’ils avaient recueillis correspondaient à 100 % d’un vote des membres.

Mesurer l’adhésion réelle à un candidat

Pour mettre en lumière ce paradoxe, l’association Mieux Voter a lancé, du 4 au 10 avril, une consultation en ligne pour comparer le système de vote actuel avec le « jugement majoritaire ». Les participants ont été invités à choisir leur candidat au premier tour selon le système traditionnel et également à noter chaque candidat sur une échelle de citation allant de « Excellent » à « Rejeté ».

Environ 30 000 personnes ont participé à la consultation, dont la grande majorité étaient des électeurs de gauche. Ainsi, au vote majoritaire, Jean-Luc Mélenchon a obtenu 55,46% des voix des participants, suivi par Emmanuel Macron (14,38%) et Yannick Jadot (10,52%).

Mais même si cette consultation n’avait pas vocation à constituer un échantillon représentatif de l’électorat français et que les partisans de Jean-Luc Mélenchon y étaient surreprésentés, « l’analyse des résultats n’en est pas moins très instructive », précise le rapport rédigé par Mieux Voter, du CNRS. et l’Université Paris-Dauphine.

Si, comme prévu, on retrouve Jean-Luc Mélenchon lui aussi en tête de l’opinion majoritaire, avec une mention « Bien », suivi de l’ensemble des candidats de gauche, Emmanuel Macron chute à la septième place, avec une mention « Mauvais ».

De plus, le « jugement majoritaire » permet de mesurer le soutien réel à un candidat. « Si 55 % des participants ont indiqué avoir l’intention de voter pour Jean-Luc Mélenchon au scrutin classique, seuls 18 % lui ont attribué la mention maximale ‘Excellent’, 22 % la mention ‘Très bien’ et 19 % la mention ‘Bien’. ‘ », souligne le rapport. De même, « le score de Yannick Jadot au vote majoritaire (10,52%) ne reflète pas la légitimité réelle de celui-ci puisque dans l’opinion majoritaire, 36,7% des participants estiment qu’il est au moins ‘Bon' ».

« Une note n’est pas un vote »

Pour autant, les électeurs français et la classe politique sont-ils prêts à changer de mode de scrutin ? L’expérience des primaires populaires de janvier a été l’occasion d’entendre de nombreux commentaires négatifs sur le « jugement majoritaire ».

« Une note n’est pas un vote. (…) Les électeurs ne sont pas des juges, ce sont des citoyens », commente en partie

notamment l’ancien président de la République, François Hollande, le 31 janvier, lors d’un débat organisé à Sciences-Po Paris.

« C’est bien qu’il y ait des discussions », répond Chloé Ridel. « Toute idée nouvelle ou révolutionnaire est toujours accueillie en dérision. Mais maintenant le débat existe. C’est un enjeu dont il faut tenir compte et cette élection le démontre. Il n’est pas possible de continuer avec un modèle de choix qui exclut tant de gens », ajoute-t-elle.

L’expérience lancée par Mieux Voter se poursuivra au second tour des élections présidentielles. En attendant, la concertation initiée avec les militants de France Insumisa – le parti de Mélenchon – montre qu’une majorité s’est exprimée en faveur du vote blanc et que de nombreux électeurs de gauche sont tiraillés entre voter pour Emmanuel Macron, le vote blanc ou l’abstention. L’arrêt de la majorité leur permettrait de bloquer l’extrême droite alors qu’ils jugent le projet d’Emmanuel Macron « insuffisant ».

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